Des sirops frelatés sont soupçonnés d’avoir provoqué la mort de 69 enfants. Face à l’émoi, l’administration gambienne est accusée d’avoir manqué à son devoir de contrôle. Le Sénégal, lui, appelle les professionnels de santé à la vigilance.
Lorsque les alertes ont afflué de toutes parts, fin juillet, les autorités gambiennes ont d’abord blâmé la bactérie E. coli après les fortes pluies. Le paludisme a également été soupçonné. Mais progressivement, ce sont les sirops contre la toux et le rhume qui se sont imposés comme les principaux suspects dans la mort des 69 enfants ayant succombé à une insuffisance rénale aiguë ces trois derniers mois.
Quatre sirops, fabriqués par le laboratoire indien Maiden Pharmaceuticals, dont l’usine a été mise à l’arrêt mercredi 12 octobre, sont mis en cause. Les enquêtes ouvertes par les autorités et par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) devront dire si ces jeunes enfants, pour la plupart âgés de moins de deux ans, ont prématurément perdu la vie après avoir reçu des doses de ces médicaments. L’OMS a d’ores et déjà affirmé qu’ils contenaient des quantités « inacceptables » de diéthylène glycol et d’éthylène glycol, communément employés comme antigel et dont l’ingestion peut s’avérer mortelle.
Vigilance au Sénégal
L’alerte de l’OMS demandant leur retrait de la circulation a permis d’établir qu’ils n’avaient jusqu’à présent été repérés qu’en Gambie. Mais l’organisation a fait part de son inquiétude : en raison des voies informelles fréquemment empruntées par les médicaments, il n’est pas impossible qu’ils aient été distribués ailleurs.
Pressé de réagir, le ministre indien de la Santé, Mansukh Mandaviya, a assuré que seule la Gambie en avait reçu. Mais au Sénégal, le ministère de la Santé et de l’Action sociale a « appelé les populations à redoubler de vigilance » et demandé aux professionnels de santé de « notifier tout cas de suspicion ou de découverte de ces produits sur le territoire sénégalais ».
Face à l’émotion et la colère, le scandale sanitaire a pris une tournure politique. Comment ces produits frelatés ont-ils pu échapper à toute supervision, et pourquoi la Gambie serait l’un des seuls pays à les avoir importés ? Les autorités, qui ont ordonné le rappel des sirops le 23 septembre, ont-elles tardé à réagir ?
Le président Adama Barrow, qui ne s’est exprimé que samedi, n’a semble-t-il pas réussi à apaiser la colère. Au contraire : son allocution a été largement critiquée pour sa brièveté et son manque d’empathie. S’il a bien ordonné des mesures pour stopper l’importation de médicaments frelatés et demandé la création d’un laboratoire de contrôle, il aussi réaffirmé sa confiance en son ministre de la Santé et les services sanitaires de l’État.
Le ministre de la Santé exclut de démissionner
« Le président Barrow devrait renvoyer son ministre de la Santé. Au lieu de ça, il fait ses louanges. Nous voulons que Justice soit faite pour ces enfants », s’indigne le père de Fatoumata, l’une des jeunes victimes. Après avoir été diagnostiquée malade du paludisme, l’hôpital l’avait renvoyée chez elle en lui prescrivant un sirop au paracétamol. Fatoumata, deux an demi, s’était éteinte une semaine plus tard.
Le principal parti d’opposition, le Parti démocratique unifié (UDP), a renchéri, reprochant au chef de l’État sa froideur. « Un pays traumatisé [se retrouve à] se demander quels autres médicaments disponibles sur le marché sont contrefaits ou dangereux », a-t-il dénoncé dans un communiqué.
Comme l’UDP, d’autres formations et organisations ont exigé que les responsables de ces décès rendent des comptes. « Nous sommes consternés » par la réaction gouvernementale, a déploré Nancy Jallow, de l’ONG Global Bridges. « Nulle part ailleurs une telle affaire ne se produirait sans qu’un officiel ne perde sa place », a-t-elle poursuivi. Fort du soutien présidentiel, le ministre de la Santé, Ahmadou Lamin Samateh, excluait en début de semaine de démissionner.
AFP